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"Kamilya Jubran, une autre voie palestinienne"
Sophie Bouniot
Les archives de l'Humanité
September 20, 2002
Sa prestation sur la grande scène de la Fête de l'Humanité a bouleversé le public. Invitée par Les Motivés, entourée de Leïla Shahid, Kamilya Jubran a chanté la paix.
D'une voix douce et suave, le oud posé sur les genoux, elle chante la prose de Hussein Barghouthi, poète palestinien décédé cette année. Invitée dimanche dernier par Les Motivés, lors du concert qu'ils ont donné à la Fête de l'Humanité, Kamilya Jubran a déposé un voile chaud sur une foule attentive et émue en interprétant Les colombes arrivent. La rencontre d'un poète de la paix et de saint Jean-Baptiste : " Ta nourriture est une sauterelle trempée dans une goutte de miel. Ton habit est fait de jute et de toile de chameau. Ton chemin est parsemé d'épines et non de fleurs. â toi, lune sur la frontière. â toi, prophète expulsé qui chante dans les près. " L'apôtre lui répond : " Elargissez les chemins aux gazelles de l'amour et de la paix. Les colombes arrivent au loin de la montagne. " Des paroles porteuses d'un immense espoir, aujourd'hui piétiné, écrites au début des années quatre-vingt-dix, alors que la paix au Proche-Orient ne semblait plus être un vou pieu.
Kamilya est née à Akka, également appelé Saint-Jean-d'Acre, en Galilée en 1963. Ses parents, Elias et Nohad ont vécu la Nakba (la catastrophe- NDLR) de 1948, quand la création de l'Etat d'Israël jetait aux portes de ses nouvelles frontières quelque 850 000 Palestiniens. Son père, ouvrier devenu luthier, sa mère, couturière, décident de rester sur leur terre. " Comme beaucoup de ceux qui n'avaient pas les moyens de partir ", précise la chanteuse, " Palestinienne de cour ", Arabe israélienne de naissance. L'évocation de son enfance fait briller son regard noir. " Une période magnifique ", faite de musique, de chant, les yeux rivés sur la mer, près du port d'Akka, " dans les odeurs de poisson ". Après le temps de l'eau est venu celui de la terre. Quand la famille part s'installer définitivement dans la " maison construire par mon père " à Rame au chevet d'Haïfa. Là-bas, elle grandit au cour des courbes vallonnées du paysage galiléen avec "ces champs d'oliviers partout, l'air frais, le soleil, les fleurs ". Et toujours les notes de musique distillées dans la demeure famille. Des compositeurs palestiniens classiques, Abdel Wahad, Zakaria Ahmad et Riad Sunbati, font figure de premier répertoire. " Ma mère m'apprenait les paroles que je ne comprenais pas et mon père, autodidacte, jouait du luth. " Les journées se partagent entre la classe le matin et les cours de musique avec tous les autres élèves du village sous l'égide d'Elias.
" quinze ans, j'ai commencé à me poser des questions sur la musique que je voulais porter. Sur le pourquoi de la situation dans laquelle je vivais. Il y avait mes racines, mon histoire et celle de mon peuple. J'ai écouté des auteurs engagés, des chants de la résistance : l'Egyptien Sheikh Imam, les Libanais Marcel Khalife, Khaled El Haber ou encore Ahmad Qaibour. " Un pan artistique qui depuis n'a jamais quitté Kamilya. " Dans les fêtes de Rame et des communes voisines, nous chantions des paroles revendicatives mais toujours nimbées de paix. Tout y passait, les droits de l'homme, l'égalité sociale, le droit à l'expression, celui de vivre, de garder notre terre. "
En 1981, Kamilya part s'installer à Jérusalem-Est pour suivre des études sur le travail social. La musique prend vite toute la place quand elle intègre Sabreen (Ceux qui ont la patience- NDLR) un groupe d'artistes palestiniens. " Nous n'interprétons pas de slogans, nous recherchons quelque chose de plus profond. De toute manière dès que tu travailles dans la culture, tu résistes et tu fais de la politique. " Le groupe joue partout en " Israël et en Palestine. Les dernières fois à Haïfa en 1998 et à Bethléem en 1999 ". En 2000, alors que son quatrième CD sort, la seconde Intifada commence. Depuis, plus de concerts, un album passé inaperçu et une vie d'artiste difficile à mener. " De par mon statut d'artiste palestinienne, la politique arrive tout de suite. C'est parfois gênant quand on est invité quelque part plus pour sa nationalité que pour son travail. Le conflit est toujours présent, regrette Kamilya, et je suis aussi une de ses mémoires vivantes. Je veux être porteuse d'un message simple : il y a ce peuple, cette culture, cette histoire qu'on a tellement voulu éliminer, mais elle est toujours là et elle restera.